Par YanK l'Innommé
L’intelligence artificielle occupe aujourd’hui une place grandissante dans notre société. De la création d’images et de textes à l’automatisation de tâches complexes, elle façonne notre quotidien de manière de plus en plus visible. Pourtant, cette montée en puissance suscite des réactions contrastées. Certains y voient une avancée révolutionnaire, d’autres une menace, tandis que beaucoup préfèrent l’ignorer ou croire qu’elle finira par disparaître, comme une mode passagère. Mais peut-on réellement se permettre de détourner le regard ? En refusant d’affronter ces mutations, ne risque-t-on pas de laisser cette technologie être façonnée uniquement par des intérêts privés, au détriment de l’intérêt collectif ?
Tout d'abord, je tiens à balayer une idée reçue. L’idée d’une bulle technologique prête à éclater est souvent avancée pour relativiser l’impact de l’intelligence artificielle, en la comparant à l’effondrement des cryptomonnaies ou des NFT. Cette comparaison ne tient pas. L’IA n’est ni une mode spéculative ni un simple phénomène de marché. Elle s’appuie sur des décennies de recherche et s’intègre durablement à tous les secteurs, de l’industrie à la médecine en passant par la culture. Son évolution est portée par des infrastructures solides, des financements colossaux et un potentiel qui dépasse largement les applications que nous connaissons aujourd’hui. Elle ne disparaîtra pas, et prétendre le contraire, c’est refuser d’accepter une transformation déjà en marche.
Et face à cette réalité, le débat public et politique semble bien souvent insuffisant, voire inexistant. Lorsqu’il est abordé, c’est essentiellement sous l’angle de la compétitivité économique et de la souveraineté technologique. Qui dominera le marché de l’IA ? Comment rattraper le retard face aux États-Unis et à la Chine ? Où trouver les financements pour rester dans la course ? Autant de questions qui traduisent une vision biaisée du sujet, focalisée sur les enjeux financiers et stratégiques. Pourtant, l’intelligence artificielle n’est pas seulement un défi économique. C’est un bouleversement sociétal majeur qui soulève des questions éthiques, politiques et philosophiques. Qui décide des orientations de ces technologies ? Quels impacts sur l’emploi et les inégalités ? Quelle place pour la transparence et la régulation ? Ces questions, pourtant essentielles, restent largement mises de côté. Et ce silence politique est tout sauf anodin : il reflète une volonté implicite de laisser l’IA entre les mains du privé, où seuls quelques géants façonneront l’avenir de la technologie en fonction de leurs intérêts.
Car si nous laissons l’IA évoluer sans cadre, elle deviendra un outil supplémentaire au service d’un capitalisme toujours plus concentré. Aujourd’hui déjà, son développement est monopolisé par une poignée d’entreprises qui disposent des ressources et de la puissance de calcul nécessaires pour entraîner les modèles les plus performants. Ce déséquilibre renforce leur domination sur le marché ainsi que leur influence sur les usages et les réglementations à venir. L’intelligence artificielle risque ainsi d’accentuer les inégalités, en automatisant des secteurs entiers sans prévoir d’accompagnement pour les travailleurs impactés, en exploitant massivement les données sans contrepartie pour ceux qui les fournissent et en imposant des outils conçus avant tout pour maximiser le profit. Et comme toujours, ce sont les mêmes qui profiteront de cette révolution technologique : les ultra-riches, les multinationales, ceux qui ont déjà le pouvoir. Les autres, eux, n’auront qu’à subir.
Mais je veux croire qu'il existe une autre voie possible. Plutôt que de rejeter en bloc cette évolution ou de se résigner à son détournement par les logiques capitalistes, il est impératif de construire des alternatives éthiques et viables. Moi, je rêve d’un Midjourney éthique, une plateforme coopérative où les artistes seraient justement rémunérés en fonction du poids de leur contribution aux œuvres générées. Un outil qui ne pillerait pas les créateurs, mais qui les intégrerait pleinement dans le processus, leur permettant de bénéficier des avancées technologiques au lieu d’en être les victimes. Un système transparent, où chaque utilisateur saurait précisément sur quoi l’IA s’appuie. Où les décisions seraient prises collectivement, et non par une poignée d’actionnaires uniquement soucieux de rentabilité. Ce modèle, loin d’être une utopie, pourrait exister si la volonté politique et le soutien public étaient là. Mais pour l’instant, ces projets restent à l’état de rêve, faute d’un cadre qui encourage leur émergence et les protège de la concurrence déloyale des géants du secteur.
Pour conclure, le véritable enjeu n’est donc pas de savoir si l’intelligence artificielle va disparaître, mais bien de décider de la direction qu’elle prendra. Refuser d’y réfléchir, c’est laisser le champ libre à ceux qui en feront un simple levier économique au service d’une minorité. Il est encore temps d’agir, de peser sur les décisions, d’exiger des régulations adaptées et de promouvoir des modèles plus justes. Mais si nous restons spectateurs, nous ne pourrons que constater, impuissants, les conséquences d’une technologie qui aurait pu être un progrès pour tous, mais qui risque de devenir un nouveau facteur d’inégalités et de domination.
Alors je sais que mon propos ne fera pas l'unanimité, loin de là. J’aimerais tenir un discours éclairé, mais il comporte sûrement des faiblesses et des biais, car humain je suis. J'espère toutefois parvenir à nourrir un débat, idéalement sain et respectueux de toutes et tous. Et à faire comprendre à chacun que l’IA n’est pas un phénomène temporaire et que ce n’est pas en fermant les yeux qu’elle disparaîtra. C’est maintenant qu’il faut se battre pour qu’elle soit au service de l’humanité et non d’une élite avide de profits.
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