Par YanK l'Innommé - Juin 2025
C’est fou comme certaines annonces arrivent à être à la fois inquiétantes, ridicules et profondément hypocrites. Prenez Deezer, par exemple. La plateforme vient de lancer en grande pompe son nouveau dispositif pour « protéger les artistes » et « rassurer les auditeurs » : un système d’étiquetage des morceaux générés par intelligence artificielle.
Sur le papier, ça semble noble. Qui ne voudrait pas de plus de transparence dans ce monde numérique où tout se brouille ? Sauf qu’en y regardant de plus près, ce vernis de bonnes intentions cache surtout une opération de communication un brin malhonnête… et surtout inutile.
D’abord, parlons chiffres. Selon leurs propres données, environ 18% des morceaux mis en ligne chaque jour sur Deezer proviendraient de générateurs IA comme Suno ou Udio. C’est vrai que dit comme ça, ça peut paraître impressionnant, voire inquiétant. Mais ensuite, on apprend que ces fameux morceaux ne représentent que… 0,5% des écoutes sur la plateforme. Autrement dit : personne, ou presque, ne les écoute.
Et l’ironie ne s’arrête pas là. Sur ce maigre 0,5%, Deezer estime que 70% des écoutes sont en réalité le fruit de manipulations artificielles, de bots et de techniques frauduleuses pour gonfler les chiffres. Donc, dans les faits, la musique générée par IA qui trouve vraiment son public, de manière honnête et organique, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Rien de plus.
Mais malgré ça, la plateforme nous sort le grand jeu. Étiquettes spéciales, exclusion des recommandations automatiques, discours alarmistes sur la dilution du catalogue. On aurait presque l’impression que l’intelligence artificielle est en train de dévorer l’industrie musicale alors qu’elle peine simplement à se faire entendre dans le brouhaha général.
Ce qui dérange le plus, finalement, ce n’est pas tant la mesure en elle-même - pourquoi pas, après tout, informer les auditeurs - mais le double discours qui l’accompagne. Parce que dans l’ombre, personne n’ignore que les grandes maisons de disques, elles, n’ont pas attendu pour expérimenter avec l’IA. Elles l’utilisent déjà pour recréer des voix disparues, générer des mélodies, remplir des samples… mais là, étrangement, on ne parle pas d’étiquetage. Là, c’est artistique, c’est magique, c’est le futur sublimé par l’industrie. Et surtout, c’est rentable.
En réalité, cette chasse aux morceaux IA touche surtout les petits créateurs, ceux qui bricolent, qui expérimentent, qui s’amusent avec ces nouveaux outils sans forcément en faire un business frauduleux. Ceux-là vont se retrouver stigmatisés, montrés du doigt, freinés dans leur visibilité. Pendant ce temps, les albums aseptisés produits par l’industrie continueront tranquillement d’inonder les playlists, qu’ils soient partiellement boostés à l’IA ou pas.
C’est un peu toujours la même histoire, finalement. On agite l’épouvantail technologique pour rassurer les puristes, on met en place des règles qui semblent justes et au final, ce sont toujours les mêmes qui en profitent et les mêmes qui trinquent.
Alors oui, sur le papier, Deezer lutte contre la fraude. Mais soyons lucides. Derrière l’étiquette, ce qu’on protège surtout, c’est le confort d’un modèle économique, pas la musique. Certainement pas la diversité ni la créativité.
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